Saturday, May 17, 2008

Chroniques birmanes, le retour...

Min-gala-ba amis de tous bords, de tous poils et de tous continents,

Ici, Radio du Levant... de retour sur les ondes après quelques long mois de silence… et surtout quelques semaines bien agitées et bien sombres à certains moments, passées au loin de ma petite bourgade de Maungdaw… Me voila de retour chez moi, dans ma si agréable petite bicoque en bois que personne d’entre vous, malheureusement, n’aura jamais la chance d’expérimenter… car un séjour chez moi s’apparente bien souvent à une expérience à part… du balancement du hamac en sirotant un verre et prenant la petite brise du soir en contemplant la non-activité de la campagne environnante si calme, si sereine malgré les drames qui se jouent un peu partout en sourdine… au gout sucré, épicé et ensoleillé du rhum arrangé maison dégusté devant une partie de billard indien en étant accompagné par les sons rythmés de 7, notre TaiKo (sorte de gros lézard assez plat à la peau verte tachetée de points bleus… avec de gros yeux globuleux)…

Anyway, vous comprendrez facilement que malgré le contexte actuel des plus tendus, des informations provenant de la zone sud de la Birmanie les plus révoltantes et une saison des pluies qui s’annoncent plutôt violente avec un risque de soudure alimentaire très intense, il semblerait que ces quelques semaines ailleurs, en partie au Vietnam (carnet de roots en chantier), en partie dans la zone sud de Birmanie au sein du projet Total, et en partie sur Yangon, m’ont fait du bien et fait prendre suffisamment de recul pour avoir un peu plus de perspectives et retrouver une énergie nouvelle… le tout accompagné d’un retour entier de ma capacité d’indignation et de révolte…


Il faut dire aussi que la situation actuelle, aussi bien ici sur Maungdaw, sur Yangon ou plus largement un peu partout dans le monde permet difficilement de ne pas avoir envie de hurler…
Crise alimentaire mondiale sur fond de crise financière globalisée, incuries des gouvernements à prendre les décisions courageuses et novatrices pour sortir de ce monde capitalistique destructeur et hypocrite… vaste système ayant échappé à tout contrôle et poursuivant sans relâche l’asservissement du peuple, des peuples, à la recherche du profit maximal, au consumériste suicidaire, à la fuite en avant et au repli sur soi par peur de l’autre et par ignorance….
Crises humanitaires un peu partout et de plus en plus violentes,

Crise environnementale sur le point d’être généralisée et avec ses premières conséquences météorologiques destructrices (Nargis a ouvert avec fracas la période des cyclones… il semblerait qu’un deuxième soit en préparation… Par ailleurs, selon les astrologues birmans, Nargis et le tremblement de terre en Chine ne sont que les premiers évènements d’envergure de l’année 2008… il y en aurait pas mal d’autres en perspective pour cette année),
Crise au Moyen Orient, crise au Tibet, crise au Zimbabwe, crise en Colombie…
Crise dans nos sociétés (la gauche balayée en Angleterre, Berlusconi revenant triomphalement en Italie),
Crise à la Présidence (le petit Nicolas ne semble pas très bien passer l’hiver, avec un peu de chance on n’aura peut être pas à attendre encore 4 long hivers et qu’il disparaitra en cours de route).
Le monde va bien mal et il est temps que cela change…

La situation par ici est des plus déconcertantes et semble en dehors du réel…. Si tout n’est qu’agitation, adrénaline, révolte et frustration sur Yangon et dans la région du Delta, tant l’ampleur des dégâts est immense et l’attitude des généraux est suicidaire voire génocidaire… dans le Rakhine, le drame se joue en silence et à l’abri de tous les regards puisque le « cirque humanitaire » ne se produit plus par ici… Pour une fois qu’il y a une « vrai urgence » en Birmanie (et pas une crise chronique et récurrente s’étalant sur une dizaine d’années et dont personne ne sait comment s’en débarrasser comme dans le Rakhine), il serait trop idiot de ne pas saisir l’opportunité pour sortir l’artillerie lourde et que l’ensemble des ONG d’urgence de même que toutes les agences onusiennes se lancent à corps perdu dans l’aventure… Même si les conditions d’intervention semblent réellement difficiles et soumises aux chantages les plus odieux, aux détournements massifs d’aides et aux compromis / collaborations les plus difficiles à accepter...

Mon propos peut paraître un peu cynique, mais il n’en est rien ou presque… juste quelques constats qui ne me laissent pas indifférent… La situation dans le Delta et les environs de Yangon est réellement urgente, dramatique et nécessite une intervention massive et coordonnée (chose qui est très loin d’être facile à mettre en œuvre eu égard au contexte) mais ce n’est pas pour autant que le reste des crises en cours suspendent pour autant leur dégâts… Voir tous les moyens logistiques et humains quitter une crise pour une autre sans prendre en considération les conséquences de ces réallocations / réorientations des priorités ne manque pas de me déconcerter… Et, si plus d’un millions de personnes semblent avoir tout perdu avec le cyclone et en danger de vulnérabilité extrême, il ne faut oublier pour autant que pas loin d’un autre million de personnes (dans le Rakhine) vont bientôt être confrontées à la période de soudure alimentaire qui risque de s’apparenter à une période de pseudo famine… Sorte de tsunami silencieux (pour reprendre le titre du Time sur la crise alimentaire mondiale) qui n’épargne personne et a déjà commencé à pousser nombres de familles à fuir Bangladesh en quête d’un avenir moins sombre si tant est que cela soit possible…

En parallèle, il est totalement vrai aussi qu’il faudra s’attaquer le plus rapidement possible à la revitalisation de l’agriculture dans le Delta, véritable grenier à riz (65% de la production birmane) et zone de production agricole du pays (80% de l’aquaculture et 50% des élevages de poules et de porcs). Sans cela, l’impact de Nargis sur le long terme sera d’agir comme une lame de fond qui pousserait une immense partie de la population birmane dans une vulnérabilité absolue (près de 50% de la population ne survie déjà qu’avec 1 euro par jour), n’ayant plus les moyens d’accéder aux produits de consommation courante…

Réalité plutôt sombre et révoltante qui aurait tendance à absorber ou à faire disparaitre tout signe d’espoir… cela dit, je viens de passer 3 jours en dehors du monde, au fin fond du Township de Maungdaw, à la frontière avec le Bangladesh, à m’intéresser à la mobilisation paysanne, la construction d'organisations sociales autour de la gestion des ressources et la compréhension des pratiques agricoles… Et, je ne peux, néanmoins, m’empêcher de penser que la (re)construction du lien social au sein des communautés rurales et avec les paysans (dans la perspective de participer à l'émergence d'un avenir un peu moins sombre, de (re)donner espoir et surtout durabilités quelques actions de développement) est tout aussi importante voire est porteuse de beaucoup plus de sens… en tout cas pour moi, eu égard à ma perception de la réalité, ma sensibilité et mon engagement sur le long terme... C'est certainement mon cote optimiste et un brin naïf (la conviction qu'on peut changer les choses ou tout du moins y contribuer un petit peu) qui reprennent le dessus... La seule manière de changer les choses, c’est d’incarner soit même le changement disait Gandhi…

Sinon, dernière nouvelle de mon Royaume de l’Absurde… en pleine catastrophe naturelle (et humanitaire), le referendum sur la constitution s’est déroulé dans « la joie et la bonne humeur » et sous bonne surveillance à travers tout le pays (sauf dans les zones sinistrées par le cyclone)… et, bonne nouvelle, la nouvelle constitution a été approuvée par 92.4% des birmans avec un taux de participation record de 99.2%... Sur Maungdaw, l’enthousiasme a été tel que les musulmans l’ont approuvée à 99%... Comment ca, cela ne fait pas crédible…. No comment…






Pour terminer cette premiere chronique, quelques photos de Yangon prises quelques heures apres le passage de Nargis... l'atmosphere etait vraiment etrange, les gens completement hagard, le calme voire le silence etait assourdissant... personne ne comprenait ne ne prenait reellement la mesure de ce qui venait juste de se passer... il n'a pas fallu longtemps cependant pour constater l'ampleur de la catastrophe et les consequences inevitables qui allaient en resulter... penurie d'essence, d'eau potable et des produits de consommation courantes... explosion des prix (500% pour l'eau potable, 60% pour l'essence, 300% pour le riz...), files d'attentes monstrueuses devant les depots d'essence (jusqu'a 7 ou 10 heures d'attente pour avoir droit a 2 gallons d'essence)...

Les environs de la pagode Shwedagon et le feu le Top Choice, une terrasse sympa pour tomber quelques bieres...






Et pour finir quelques portraits de part chez moi...


A bientôt, et d’ici là, continuez de bien tripper dans vos coins respectifs, à votre manière et selon vos rêves… Prenez bien soin de vous, où que vous soyez et quoique vous fassiez…


Pierre